WOLFRAM • Ingénieur informatique

Qui suis-je;

Sans souvenir, au moins je respire. Rien de plus, rien de moins que le léger soulèvement du torse invisible. Le cerveau lentement se réveille mais les membres encore enchaînés dans la torpeur d’un trop long sommeil semblent disparus. Qui suis-je? Les yeux clignent, un, deux - un ; deux… Qui suis-je ?
Aurais-je entrevu ainsi la fin du jour, le début de la nuit, le tombeau délicieux du grand final, l’aventure terminée? Mais doucement les sensations reviennent, les mains douloureuses, les larmes coulent, le torse quémande de l’air ; de l’air !

J’émerge d’un grand souffle hors de l’ambivalence du rêve.
Où suis-je ? Glacé, coincé, noyé sous un torrent de mémoire qui revient pas à pas puis d’un coup sans prévenir le torrent s’écoule le long du lit de la pensée. Oui, je suis. Je sais qui je suis ; le songe prend fin, je m’assois sans comprendre. La tête tambourine dans le vague ambulant, je tourne mais rien n’est familier.

J’étais effacé et me voilà ramené dans le présent, dans une pièce sans bordure, une lumière fantomatique, des appareils inconnus qui m’entourent. Une cellule où s’est terrée trop longtemps ma conscience. Je ne sais pas, je ne sais plus rien, simplement, je vis, là, estomaqué affamé de comprendre. Où suis-je?

Alors encore hébété du noir ; j’attends.

Je ne suis qu’une bouture endormie qui n’a pas encore poussé… Déjà en gestation on m’avait dit sans trop que je le comprenne que j’étais trop discret ; pas un coup, puis sans bruit, sans pleurs, simplement attendant que la vie se produise, j’ai sorti la tête de l’eau pour tâter l’air ambiant. Le père parti trop tôt ou trop tard selon les versions de l’histoire ; la mère forte et puissante comme un tsunami jamais ne s’est laissée avoir par la facilité du désespoir. Me voilà né et enfin jeté dans ce monde sans y avoir été invité ni désiré. Seulement elle, seulement par elle qui me regardait les yeux pétillants, emplis d’un amour sans pareil. Elle me disait « Tu n’es qu’une bouture endormie qui n’a pas encore poussé » et j’écoutais, abasourdi par la poésie triviale et sa voix suave. J’écoutais et maintenant je sais qu’il ne tient qu’à moi d’arroser la bouture, de déployer les racines jusqu’au plus profond de la Terre. Sans elle.

J’ai joué si longtemps que la vie a pris des dimensions qu’elle n’avait pas. Je vois dans l’espace des formes et lumières, informations invisibles au commun des mortels. Moi je suis un mortel peu commun, bordé par l’imaginaire de plantes vertes et d’une Nature disparue. Un explorateur de l’intérieur. J’ai décidé qu’il était temps que l’exploration m’amène ailleurs, hors de la pure création de l’esprit. Autour de moi tout danse et vibre mais jamais je n’avais considéré pouvoir m’immiscer dans les plus grands secrets de l’Univers.

J’ai transformé la matière brute en or pour ceux qui savaient tirer profit d’une ou deux lignes de code bien pensées. J’ai programmé des existences artificielles entières basées sur quelques chiffres et quelques lettres, mais jamais je n’ai su me transformer moi-même, me rendre invisible, renforcer cette petite carapace vieillissante et flétrissante. 37 est le nombre du changement ; j’ai abandonné les 0 et 1 pour entrer dans l’ère du renouveau. Rose me glissait à l’oreille d’arroser sans plus attendre le germe de ma force extraordinaire, et alors…

Je suis monté.