SAGE • Chef de cabinet

Le nez froncé, elle se tourne et tend la main pour récupérer son téléphone. Inquiète de l'heure qu'il est, c'est finalement la douleur qui éclate dans ses phalanges qui la fait ouvrir les yeux. Le juron meurt sur ses lèvres alors qu'elle prend en compte son environnement. Elle s'assoie d'un mouvement gracieux malgré les muscles mous et observe la scène autour d'elle, analyse rapide. Ni sa chambre, ni même son pays, si les premiers indices s'y prêtent. L'indice le plus flagrant, au delà du visuel qui s'offre à elle se trouve être l'absence du dit téléphone. Elle a les membres lourds mais elle s'extirpe de ses commodités comme une fleur et prend le temps d'essayer d’ôter les plis de son pantalon. Au vu de ces derniers, elle est là depuis longtemps. Il ne lui faut que quelques secondes pour étouffer la panique qui monte, le tremblement de sa main facilement transformé en un mouvement rapide pour essayer d'éteindre la douleur encore sourde. La tentative d'enlèvement vite ôtée des possibilités, elle analyse rapidement celles qui lui restent, autant de choix que de secondes qui passent sans aucune réponse. Ses jambes manquent de lâcher sous ses premiers pas, le souffle un peu court de ces efforts pourtant minimes. Elle ne s'arrête pas pour autant, s'agrippe aussi élégamment que possible au mur et continue d'avancer, une seule idée en tête, trouver le reste de sa famille. Elle a beau ne pas savoir ce qu'il se passe, ils sont forcément ensemble, quelque part, ils ne l'auraient pas laissé seule. Ils ne l'auraient pas laissé seule. Non, ils ne l'auraient pas laissé seule qu'elle se répète, en boucle, l'inconnu pour seul compagnon.

Les talons qui claquent sur le carrelage du couloir, le téléphone scotché à son oreille et son blackberry dans l'autre, elle navigue les couloirs du congrès sans même y faire attention, la force de l'habitude. Le badge à peine utile, son nom gravé sur ses traits. Elle sourit pourtant à ceux qu'elle passe, le menton qui se baisse en guise de salutations silencieuses, une main qui s'agite en en lieu d'un bonjour et cette conversation avec son père qu'elle ne quitte pas. Oui, son frère a bien reçu les fichiers qu'il a envoyé. Oui, ils ont bien été signé et oui, le brunch de samedi est bien maintenu parce qu'ils rentraient bien ce week-end. Elle mange un pancake ici et quelque chose qui ressemble vaguement à une moussaka à un moment de la journée mais guère plus, les minutes qui défilent et le travail qui s'accumule, un nouvel article les concernant, insistant fortement sur le népotisme dont ils font preuve. Comme si elle n'était pas diplômée de la meilleure université du pays. Comme si elle ne méritait pas de gérer l'équipe de son frère. La politique de père en fils chez les Dorell. Et en fille, maintenant, la tête haute. On en parle beaucoup, de la perfection des Dorell, de leurs physiques avantageux, de leurs fortunes accumulées et de leurs idées politiques. On parle rarement de leurs liens, de l'amour profonds qu'ils ressentent et de ce sentiment d'appartenir à quelque chose de plus grand. Et bientôt son père, à la course à la présidence. Elle vit politique Sage. Elle respire politique, matin, midi et soir. L'enfance exemplaire, l'adolescence vide de rébellion, le parcours scolaire impeccable. Un sourire aux lèvres, l'affabilité légendaire et la volonté d'aider son prochain ancrée en elle. Bien sur qu'ils aiment le pouvoir, aucun homme, ou femme n'a mit un pied en politique pour le simple plaisir d'aider son prochain. Le pouvoir, la volonté de paraitre plus grand, plus fort, l'influence qui s’accroit. Elle n'a pas commencé en bas Sage, pas avec un père au sénat et un frère au congrès mais elle finira en haut, elle le sait.