Se mouvoir, encore et toujours, enchainer les actions, préparer de quoi servir des cocktails et boissons alcoolisées en tout genre… Continuer sans faillir pour ne pas s’interrompre. Oh non, ne surtout pas s’arrêter en chemin, un arrêt et c’est le début des problèmes, une interruption et les pensées s’immisceront là-dedans, dans ma tête, pour tout retourner encore une fois et laisser la porte grande ouverte aux doutes, à l’incertitude et à la peur. Je ne suis pas prêt à emprunter ce chemin à nouveau, moi tout ce que je veux c’est oublier… Pas indéfiniment, non, seulement quelques heures, le temps de digérer les événements de cette soirée. J’ai l’étrange impression que faire preuve d’un excès de raison en acceptant de m’asseoir cinq minutes sans rien faire reviendrait à mourir, à hisser une cible en plein milieu de mon visage et à attendre que l’on vienne s’en prendre à moi. Une manière bien étrange de voir les choses, mais c’est à cela que je songe de plus en plus, surtout avec toutes ces attaques plus ou moins hallucinées aux conséquences bien réelles.
@Leo est là, bien amoché, je crois qu’il ne s’est pas remis de ses émotions et je comprends pourquoi. Il a dégusté et ça me fait franchement mal au cœur, je l’apprécie, il a toujours été gentil avec moi, au point d’accepter de passer la nuit dans mon lit après l’épisode de la réception.
« Je ne sais plus en quoi je crois ! » Suis-je encore en position de croire ? J’esquisse un sourire désabusé et amusé à la fois, je crois que je commence à dédramatiser, comme s’il était possible de voir le bon côté des choses quand tu as enfin touché le fond. Le désespoir se déclare-t-il de la sorte ? Je lui tends un verre que je ne tarde pas à remplir d’un rhum parfumé au miel, du genre à bien t’arracher la gorge.
« Tiens… Santé ! » Je me prépare un verre à mon tour, pour trinquer avec lui et l’avale cul sec.
« C’est la maison qui offre ! » J’en prépare un second, dans un verre plus imposant que je fais glisser dans sa direction.
B’soir m’sieur l’barman. Mes poils s’hérissent tout au long de ma colonne vertébrale. Je frissonne, accablé par ces palpitations affolées qui cognent dans ma poitrine. Je crois sourire… J’ignore si je le fais, je doute même d’en être capable et pourtant… Il ignore le bordel qu’il vient systématiquement répandre dans mon être tout entier. Je suis tellement content qu’il soit venu. Mes yeux abandonnent leur exploration ô combien ennuyeuse pour venir se poser sur lui.
Aie. La douleur est vive, elle me neutralise et m’humidifie les yeux.
« Laisse-moi aller chercher de quoi te soigner. » À défaut d’avoir un kit de premiers secours, j’ai des serviettes, de l’alcool et de quoi, peut-être, lui apporter du baume au cœur. Il m’observe et déjà je me sens faillir, il est d’une beauté incomparable, même tout cabossé. Je me demande s’il a conscience de l’inquiétude que j’éprouve à son sujet, j’ai parfois l’impression de m’inquiéter davantage pour lui que pour moi… Quelque part, je crois que c’est le cas. Je ne suis pas effrayé à l’idée de mourir, de rejoindre mon fils, de trouver la paix… Je ne veux juste pas qu’il connaisse le même destin, je veux qu’il s’en sorte… Il ne doit pas mourir. Je ne suis pas prêt à le perdre, pas comme ça. Mes yeux pétillent,
maudites émotions que je me sens soudainement incapable de contenir comme je le devrais, je n’ai pourtant jamais été du genre à exposer mes sentiments. Tout est différent ici, l’épuisement contribue surement à tout cela.
« Un whisky, pour commencer ! » Aucun glaçon, pas de diluant, une forte dose de whisky que je verse dans ce verre qu’il attrape, non sans effleurer mes doigts.
Ne le laisse pas s’échapper à nouveau. Je prends en otage ce verre, l’empêche de le tirer jusqu’à lui… Tout ce que je veux, c’est le toucher, conquérir un à un ses doigts pour pouvoir les enlacer aux miens, caresser cette peau si douce malgré les blessures, me plonger dans ses yeux jusqu’à ne plus être capable d’énoncer le moindre mot. J’effleure ses phalanges, longe son pouce…
Frisson. Je me penche pour que lui seul puisse m’entendre.
« J’ai besoin que tu me fasses une promesse ! » Mes paroles viennent s’échouer lamentablement contre le lobe de son oreille, réchauffé par mon souffle humide. C’est
@Nour qui m’arrache à ce cocon que j’aimerais construire et emporte mon cœur ailleurs.
« Hors de question, tu as besoin de récupérer toi aussi, de souffler… Tiens, bois plutôt cela ! » Je lui verse une vodka bien fraiche avec des glaçons.
« Comment tu te sens ? » Je sais qu’elle doit être gênée, j’ai ressenti la même chose à l’égard de
@Rufus après m’en être pris à lui la semaine passée… Je sais que ce n’était pas moi, mais le doute s’installe à une vitesse tellement hallucinante qu’elle vient tout exploser sur son passage, même ta plus intime conviction.
Les billets pleuvent, je dois pourtant me faire violence pour les accepter. L’heure est-elle vraiment encore au business ? En est-on vraiment encore là ? J’ai bien du mal à me dire qu’il est question de bénéfice, de chiffre d’affaire et d’autre chose que de la survie. J’encaisse néanmoins la conséquente liasse que me tend
@Charlotte pour offrir du rhum à tout le monde.
@Leo,
@Edan,
@Nour,
@Neron et moi-même ne manquerons pas d’en profiter. C’est d’ailleurs ce que je fais, très discrètement, en leur préparant un nectar chacun pour panser les plaies les plus profondément installées, là, le long de leur âme.
« Je me suis emporté tout à l’heure… J’ai été dégueulasse avec toi… Je te demande pardon ! » Qui qu’elle soit,
@Charlotte n’est pas méchante, elle me parait même être un atout inespéré pour lutter contre… Contre quoi ? Si seulement nous étions en mesure de mettre des mots là-dessus. Ce doit être le pire, les affrontements paraissent sommaires à côté.
@Neron prends la parole et j’aimerais l’empêcher de s’en aller mais je comprends. Il est épuisé, trempé et surement sous le coup de l’une adrénaline qui ravage tout lorsqu’elle redescend d’un seul coup.
« J’aimerais porter un toast… À nous… » Étrange, quand on analyse la soirée.
« À cette capacité que nous avons tous eu à nous écouter les uns les autres pour arriver à faire avancer les recherches, à cette cohésion qui nous a permis de momentanément avoir l’impression de prendre le dessus sur des sorcières qui, réelles ou non, ont su nous prouver que nous avions tous en nous cette envie de survivre et de nous battre. » C’est l’élément le plus important à retenir. Se battre pour le groupe, se battre pour survivre, se battre pour comprendre. Une cohésion à venir ? J’aimerais sincèrement croire en cette possibilité, mais la route est surement encore longue.