(W04) : Survivors - EDAN, NOUR & EMY

Je ne sais pas comment nous en sommes arrivés à aller chercher nos matelas respectifs pour improviser une soirée pyjama au beau milieu de mon bar. À vrai dire, je crois que je le sais… La nuit a été tellement éreintante. Une malédiction lancée à travers @Jana par… Par qui d’ailleurs ? Ce mystère n’a pas été élucidé. Nous avons été tellement occupés à trouver un remède que nous avons laissé de côté tout le reste. Et puis le sacrifice, le début des problèmes, un coup de marteau sur une structure déjà très fragilisée par les précédents coups du sort. Un effondrement qui a définitivement enterré tout sens de la cohésion. Notre groupe initial n’est plus, du moins à mes yeux. Plus jamais je ne pourrais pleinement accorder ma confiance à ceux qui n’ont pas hésité une seule seconde avant de lancer l’exécution de la jeune femme, patient zéro. Je ne comprends toujours pas comment elle a réussi à s’en sortir, mais j’en suis soulagé. J’aurais déjà du mal à trouver le sommeil en sachant que j’ai participé, sous la force de persuasion du collectif, à cette incantation et à ce sacrifice alors imaginez si elle était réellement morte à cause de cela. Ses cris, eux, étaient bien réels et ils continuent à faire s’hérisser mes poils. On ne peut pas oublier de telles supplications, je puis vous l’assurer. Et puis @Edan, l’ascenseur émotionnel, accablé, mort et puis… Vivant. Une bénédiction, la lumière au bout d’un tunnel que j’imaginais sans issue. La découverte d’un coffre, d’une @Charlotte sans aucun souvenir d’une quelconque possession de @Louisa, réellement morte. Des tonnes d’éléments sur lesquels nous aurons besoin de revenir à froid, lorsque toute la pression sera redescendue. Pour l’heure, tout ce que je veux, c’est que les autres reviennent avec leurs matelas. Premier arrivé, j’ai déjà sorti de quoi nous hydrater, cette nuit, ce sera sans alcool… Nous n’avons pas besoin d’en rajouter. @Edan… J’ai tellement peur qu’il n’arrive pas… Je ne réalise pas encore tout à fait qu’il n’est pas mort… J’ai tellement peur de prendre une nouvelle claque dans la figure en me retrouvant confronté à une sorte d’illusion dans laquelle je me serais glissé pour omettre sa disparition… Je suis là, assis sur mon matelas, et je tremble… Je m’impatiente et je redoute… Pourvu qu’ils arrivent tous bientôt.

@Nour @Emy @Edan

"Salut."

Il est là, perché sur son matelas, le dos courbé et un âge nouveau marquant ses traits soucieux. Nour se demande furtivement si c'est à ça qu'elle ressemble, elle aussi: plus vielle, plus triste, fatiguée. Elle n'a aucun doute sur la réponse. Ce n'est pas pour rien qu'elle a évité le miroir, en se glissant dans sa chambre. Si son reflet l'effraie, pourtant, ce n'est pas par crainte d'être laide. Non, si elle refuse de le croiser, c'est parce qu'il est l'incarnation terrestre des actions qu'elle a menées, auxquelles elle a participé.

Immoler une innocente, par exemple. Elle voudrait se donner des excuses mais elles seraient autant de foutaises. Elle se souvient. La mémoire est vive, poison abrasif qui pénètre ses chairs et s'infuse progressivement dans son esprit, le gangrenant de sa noirceur. Tout est encore frais, tout le restera sans doute. Elle se rappelle qu'elle a cédé, Nour, elle se rappelle qu'elle a encouragé les autres à chanter, lorsque tout cela a été terminé, parce que si @Edan et Jana devaient crever pourquoi ne pas les honorer, parce qu'elle avait peur pour les autres, parce que...

Prochain article : j'infiltre une secte. Préparations déjà effectuées, je suis fin prête à me faire embrigader.

"Je te demanderais bien si ça va, mais..."

Mais la situation est trop étrange pour se résumer si simplement. Ils sont dévastés, ils sont soulagés. Ils sont apeurés, ils sont rassurés. Le désespoir s'est teinté d'euphorie au retour d'Edan et de Jana, mais ses ombres tentaculaires n'ont pas tardé à se faire entendre. Ils ont perdu deux personnes. Ils ont abandonné deux êtres humains et tenté d'en sacrifier une autre, et...

Putain, son psy va se faire des couilles en or.

"Joli assemblage de matelas, au fait. Ça me rappelle le collège."

Elle tente un sourire, abandonne aussitôt. Ses yeux coulent sur les alentours tandis qu'elle retire ses chaussures. Le claquement furtif de ses pieds nus contre le sol est agréable, étonnant ancrage de son monde déraciné. Elle s'avance vers @Jesaïa en silence, s'assoit à ses côtés. Leurs bras se touchent. Sans y réfléchir davantage, la jeune femme laisse sa tête tomber sur l'épaule du barman.

"Tu sais quand ils arrivent ?"

Une voix, un sursaut et un sentiment d’apaisement. J’aimerais pouvoir bouger le bras pour pouvoir plaquer théâtralement la paume de ma main contre ma poitrine afin de sentir mon cœur battre la mesure à toute vitesse mais l’énergie n’est plus vraiment là. Je suis éreinté psychologiquement, loin de l’optimisme qui me caractérise le reste du temps. Cette soirée a été bien trop intense, bien trop révélatrice pour qu’il soit possible de prétendre ne rien avoir vu, entendu ou même ressenti. J’ai sciemment décidé d’agir dans l’intérêt d’un groupe en oubliant qu’une vie était en jeu et je ne peux m’empêcher de penser que j’ai été puni pour cela pendant un temps lorsqu’@Edan s’est effondré. S’il était vraiment mort… Je ne veux même plus y penser, le revoir inerte, à même le sol, ce doit être l’une des pires images de la soirée. Du genre à te coller à la peau que tu le veuille ou non, du genre à s’immiscer jusqu’au plus profond de ton inconscient pour te rappeler que le danger est bel et bien présent, qu’il rôde autour de vous et que chaque décision induit des conséquences. Pourrais-je payer le sacrifice de @Jana au prix fort ? Si tel devait être le cas, que ma vie me soit arrachée… Mais par pitié, pas lui. Pas eux. Je me suis attaché à ces quelques personnalités, mes compagnons de galère, ceux avec qui je traverse l’Enfer depuis quelques temps. Être constamment en danger, ça a un pouvoir unificateur. « Je crois qu’il me faudra deux ou trois bouteilles pour me remettre de… De tout cela… » Des dortoirs d’internat, on pourrait faire le rapprochement quand on voit la ribambelle de matelas qui trône à même le sol. Cette image me fait légèrement sourire, c’est déjà ça.

@Nour vient s’installer à côté de moi, je sens sa tête se rapprocher jusqu’à entrer en contact avec mon épaule et j’en profite pour passer mon bras contre son dos. Je crois que j’ai besoin de tendresse, de quelque chose pour me rappeler que nous sommes véritablement là, que tout ira à peu près bien dorénavant… Seulement il est impossible de véhiculer un tel message quand on sait la merde dans laquelle nous nous trouvons. « Tu crois qu’on peut se remettre de… De ce que l’on a fait ? J’ai l’impression que plus jamais je ne serais capable de me regarder dans un miroir ! » J’ai un ton neutre, détaché. La fatigue joue, parce que l’émotion, elle, est bien présente lorsque je repense aux cris de @Jana. Mon sang en est encore tout glacé. « Ils ne devraient plus tarder. »

Tu venais de vivre la pire soirée de toute ta vie. La pire. Aucune descriptions ne relaterait avec assez de justice la douleur que tu avais éprouvée lorsque tu l'avais trouvé. Ton frère. Ton jumeau. Ton autre moitié. T'avais été bien incapable de le lâcher dès lors qu'il s'était réveillé. Si ça n'avait tenu qu'à sans doute aurais tu gardé sa main dans la tienne pour au moins l'année à venir. Sauf qu'il avait bien fallu vous laver. Vous changer. Et les quelques instants passés loin de lui t'avais laissé dans l'angoisse. T'avais cru qu'il était mort. Mort. Et tout ce que tu avais fait pendant ce laps de temps semblait flou. Comme si les gestes et les paroles étaient ceux de quelqu'un d'autre. Tu ne te souvenais que de bribes et pourtant... Tu savais que tu avais récité l'immonde prière tandis que Jana se faisait brûler. Et ça, tu n'arrivais pas à l'accepter. Une fois le sang séché et le vomi caillé lavé par l'eau de la douche, t'étais retournée en quatrième vitesse devant la porte d'@Edan pour l'attendre. Ça faisait peut être de toi une sœur beaucoup trop collante mais là pour le coup, poser dans le couloir sans trop savoir quoi faire de tes mains, t'en avais un peu rien à foutre.

Il était là. Il était toujours là. Tangible. Vivant. Pas l'un de tes fantômes mais bel et bien ton frère, en chair et en os. T'avais cru le perdre et qu'une partie de toi s'éteignait. Cette partie de toi qu'il avait déjà emportée en partant et que tu venais enfin de retrouver. Cette sensation d'être complète fraîchement acquise et pourtant déjà si vitale. Il t'avait toujours été plus précieux que l'oxygène. T'avais juste du apprendre à oublier pendant ces dernières années. Tu te languissais de son contact. Tu voulais vérifier que tout cela n'était pas un rêve. Peut être même te pincer, juste pour être sûre. Mais il ne t'en laissa pas le temps. Tu savourais le contact de ses doigts sur tes cheveux. Preuve formelle que tout cela n'était pas un rêve. T'avais pas souvenir qu'il ai déjà fait ça avant. Pas avec toi en tout cas et tu comprenais subitement pourquoi toutes tes camarades de classe étaient à ses pieds. Il avait grandi @Edan. Changé et en même temps pas tellement. C'était sans doute ça. Sand doute.

Tu feignis de ne pas voir son regard s'arrêter sur tes lèvres et d'ignorer les battements irréguliers de ton cœur qui tâchait de t'informer de l'étrangeté de la situation. Tu n'avais pas envie d'y penser, encore moins de t'y arrêter et par la magie de la psychée humaine, tu parvins à te convaincre que ce... ce... moment. N'avait pas eu lieu. Que le doigt qui t'avais frôlé la peau du cou jusqu'au poignet n'était qu'un geste purement fraternel. Feindre que ce geste ne t'avais pas perturbée du tout. C'était simplement qu'il était heureux de te retrouver. Tout comme toi, il avait simplement du mal à te lâcher et avait besoin de contact. Un murmure, un bisou et vous êtes de nouveau purement frères et sœurs.

« C'est de famille. »

Sa main, tu l'agrippais comme une bouée de sauvetage. Te repaissant de sa chaleur. Ton frère était vivant. Ainsi, avant de partir rejoindre les autres et mue par une impulsion subite, tu t'autorisais à le prendre dans tes bras et à le serrer fort. Parce que sur le moment t'en avait ressenti la nécessité. Pour pouvoir reléguer tout le reste dans un coin et profiter de cette soirée.

Aussi repris-tu sa main dans la tienne pour l’entraîner vers le bar.

« Ils doivent déjà nous attendre. »

Et après avoir franchis la distance qui séparait la chambre d'Edan du bar, tu constatas que tu avais raison. @Nour et @Jesaïa étaient là, installés sur un matelas. Tu leur adressais un grand sourire tout en te disant qu'il allait te falloir partager maintenant.

Blotti contre @Nour, j’ai encore un mal fou à contrôler les battements d’un cœur qui a été soumis à très rude épreuve ce soir. J’ai cru le perdre, ne plus jamais pouvoir entendre ces mots qu’il a prononcé avec une sincérité qui m’a libéré du poids qui, pourtant, me pesait sur la poitrine. Je t’aime. Il m’a menti pour me pousser à prendre la fuite et, le pire dans tout cela, c’est qu’il a réussi pendant un temps. Il m’a détruit de la plus abominable des manières et aujourd’hui, maintenant qu’il n’est plus question de vie ou de mort, j’ai bien du mal à savoir comment je réagirais véritablement en sa présence. Mon palpitant se serre rien que d’y penser, la douleur a été tellement vive… Tous les mensonges ne sont pas bons à utiliser pour forcer une personne à s’éloigner. Contre @Nour, j’ai l’impression l’espace d’un bref instant que plus rien n’existe autour de nous. Mes pensées se taisent, réduites au silence par un sentiment de relâchement qui me faciliterait presque l’accès au sommeil. La porte du bar s’ouvre à cet instant et laisse apparaitre les deux frères et sœurs, @Emy, qui se rapproche non sans nous adresser un sourire et @Edan… Lui… Lui qui me faisait frémir il y a peu, lui qui, il y a encore moins longtemps me brisait le cœur et lui qui, aujourd’hui, m’inspire des sentiments vraiment paradoxaux.

J’ai cru sombrer dans une folie meurtrière lorsque j’ai cru le sentir pousser son ultime souffle, encore plus lorsque ce maudit @Ashton a osé l’utiliser pour me rendre coupable de ne pas avoir voulu embraser le corps de cette @Jana comme s’il s’agissait d’une action on ne peut plus anodine. J’ai mal à l’âme, j’ai mal au cœur… J’ai mal partout, mes muscles sont courbaturés, j’ai l’impression d’avoir pris quatre-vingts ans dans la figure en l’espace d’une nuit et pourtant… Pourtant je suis là, à puiser dans mes ressources pour trouver la force de me lever pour lui faire face. « Peut-on vraiment répondre que ça va ? » Je ne crois pas, après tout cela, pas quand @Louisa est morte et qu’@Alec est devenu complètement zinzin. Il me prend la main, il s’excuse et je sens les larmes me monter… Putain de soirée, putain de fatigue… Je suis éreinté et mes émotions ressortent comme si j’étais incapable de les contenir à l’intérieur. « Tu m’as fait mal… Tellement mal ! » J’aimerais le négliger, l’insulter, le frapper, le blesser, le tuer de mes propres mains mais tout ce que je trouve à faire, c’est de me rapprocher de ses lippes pour partir à la recherche d’un remède, d’une solution à ma dérive, de ma délivrance. Elles sont si douces, ses lèvres… Je frissonne alors que mes mains s’aventurent le long de sa nuque et que mes larmes me poussent à reculer par peur d’un étrange mélange à nos baisers.

La culpabilité de @Jesaïa est contagieuse. Nour la sent, monstre vorace qui gronde en ses entrailles, la sent onduler dans ses organes, les figer, les remuer, écorcher son Intérieur pour mieux polluer son âme. Elle déglutit, péniblement, tente de faire couler la boule d'angoisse qui occupe sa gorge, et ses doigts caresse doucement la main de son ami. Et elle ne répond pas, pas vraiment.

"Pour être honnête avec toi, Jesaïa, j'ai jamais été extraordinaire dans ma gestion de la culpabilité. J'suis pas celle dont t'as envie de recevoir des conseils."

Un rire sec, un rire seul, presque amer. Elle le laisse s'échapper avant de resserrer doucement son étreinte sur son ami. Ils restent là un moment, lovés l'un contre l'autre, comme deux oiseaux affrontant l'hiver, et Nour espère furtivement prolonger l'instant, car elle est bien dans sa chaleur, car elle est à son aise dans sa tendresse.

Elle regrette le songe dès que les deux silhouettes manquantes interrompent son regard. Instantanément, elle se redresse, muscles crispés, coeur battant. @Edan. Le mort-vivant, le revenu, l'inespéré. Sa gorge se serre et les larmes grimpent, traîtresses d'argent, fins extraits des émotions qu'elle n'a pas encore pu exprimer. Elles vont exploser, tôt ou tard. Elles vont exploser et ce sera moche, si elle ne trouve pas de moyen, pas d'échappatoire.

Souffle. Souffle.

Les iris charbons glissent jusqu'à @Emy, la petite soeur, la protégée, cheveux blonds et regard doux. Innocente. Son coeur se tord dans sa poitrine sous une nouvelle vague de culpabilité qu'elle enterre. Nour lui sourit donc, à défaut de chialer, presque timidement, parce qu'elle ne sait pas vraiment quoi dire, et sa main se lève, et ses doigts s'agitent dans un semblant de salut qu'elle espère poli.

A leurs côtés, les garçons sont en plein épisode de télé novela. Les mots glissent, les larmes coulent, les baisers s'enroulent et ils s'accrochent à l'autre comme des mollusques sur un rocher tout en s'excusant d'exister. Andouilles.

Nour leur laisse quelques minutes de mélodrame, mais les paroles d' @Edan sont autant de gouttes superflues dans son vase déjà trop rempli. Ses yeux se lèvent vers le ciel, dont elle implore sa force avant de s'approcher doucement. Ses doigts s'enroulent autour des épaules de @Jesaïa, qu'elle pousse doucement sur le côté. Elle se plante ensuite devant son autre ami. L'observe. Le toise.

Une tape dans le ventre, bien placée mais pas vraiment douloureuse.

"@Edan, arrête d'être con s'il te plaît."

Les yeux s'embuent à mesure qu'elle l'observe et elle s'accroche aux dernières secondes de sa dignité.

"Vous crevez d'amour l'un pour l'autre mais maintenant que t'as failli crever tu vas me faire le plaisir de rester. Et Jesaïa est un putain de nounours, déjà, et puis tu crois quoi, qu'il va te jeter alors qu'il pleurait justement parce que t'as passé ton temps à faire ça ? Crétin."

Elle croise les bras. Trop tard. Le premier sanglot secoue ses épaules, parce qu'il est là, qu'il n'est pas mort et elle n'a pas encore eu l'occasion de le toucher et une part d'elle peine encore à croire qu'il est réel et... Elle essuie rageusement les larmes qui entament leur descente.
Un soupir.

"Maintenant fais-moi un câlin."